Je continue dans mes petits préférés de mon adolescence (et plus !) et il y a bien sûr le grand Boris Vian, l’écrivain, le trompettiste, le poète, le pataphysicien, le chanteur, le zazou, …que j'ai découvert pour la première fois en troisième, tiens, avec la même prof que celle qui m'a fait découvrir Antigone ! Vive l'éducation nationale ! Je suis entrée dans son oeuvre en lisant, comme beaucoup, l'Ecume des jours, oeuvre poétique s'il en est ! C'était la première chose de ce genre que je lisais et j'en suis restée émerveillée :
le pianococktail, Isis Colin Chloé et Chick, le nénuphar de Chloé, les doublezons, Chloé arrangée par Duke Ellington, le suicide de la souris la tête dans la gueule du chat qui laisse traîner sa queue sur le trottoir alors qu'arrivent "en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l'Apostolique", Colin qui se taille les paupières en biseau "pour donner du mystère à son regard" ... J'ai alors acheté tout ce que Boris Vian avait pu écrire (j'exagère un peu, pas tout !), notamment "l'arrache-coeur" qui m'avait beaucoup impressionnée avec cette mère plus que possessive !
Mais j'ai surtout pris un très grand plaisir avec ses poèmes et chansons. Nous passions des soirées entières avec mon meilleur copain à chanter du Vian, lui étant au piano, jusqu'à 2 ou 3 h du matin. On a notamment beaucoup déliré avec "Fais-moi mal Johnny".
Il s'est levé à mon approche
Debout, il était bien plus p'tit
Je me suis dit c'est dans la poche
Ce mignon-là, c'est pour mon lit
II m'arrivait jusqu'à l'épaule
Mais il était râblé comme tout
II m'a suivie jusqu'à ma piaule
Et j'ai crié vas-y mon loup
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Envoie-moi au ciel... zoum !
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny
Moi j'aim' l'amour qui fait boum !
On chantait tous les classiques : la java des bombes atomiques (Mon oncle un fameux b ricoleur, etc), la complainte du progrès, le déserteur, j’suis snob et tant d’autres…
Mais ces poèmes aussi me touchaient beaucoup :
L’évadé
Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Là-haut entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie
Il respirait l'odeur des arbres
Avec son corps comme une forge
La lumière l'accompagnait
Et lui faisait danser son ombre
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil
Les canons d’acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l’eau
Il y a plongé son visage
Il riait de joie, il a bu
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Il s’est relevé pour sauter
Pourvu qu’ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L’a foudroyé sur l’autre rive
Le sang et l’eau se sont mêlés
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau,
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
Le temps de rire aux assassins
Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre
Je crois que c’est mon poème préféré. On y trouve la vie telle que nous devons tous la vivre. Lui savait qu’ « une abeille de cuivre chaud » allait le toucher un jour ou l’autre (il est mort à 39 ans).
Mais j’adore aussi ses poèmes complètement dingues :
Florilège :
«Un jour, il y aura autre chose que le jour
Une chose, plus franche que l’on appellera le Jodel
Une autre translucide comme l’arcanson
Que l’on s’enchâssera dans l’œil d’un geste élégant (…) »
« Tout a été dit cent fois
Et beaucoup mieux que par moi
Aussi quand j’écris des vers
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez. »
« Je voudrais pas crever
Avant d’avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nul
Dévoreurs de Tropiques (…)»
Allez, pour finir, un extrait d’une chanson que je chantais le matin en allant au bahut pour me mettre de bonne humeur :
L'autobus vous passe sous le nez
Un' grosse dame vous marche sur les pieds
Votr' petite amie s'envole
Avec ce salaud de Paul
En laissant des cheveux plein l'évier
Au bistro, le café n'est pas bon
Au bureau, ça ne tourne pas rond
Et votre meilleur copain
Au lieu d'avoir du chagrin
II se marre et vous traite de... tsoin... tsoin... tsoin...
Ah, comme la vie serait triste
Triste, triste, triste
Ah comme la vie serait triste
Si l'on ne pouvait pas chanter