Nuit de guerre
Nuit de sang
Nuit de mort …
Nous continuons notre voyage au cœur de la nuit mais cette fois nous pénétrons dans les tréfonds d’une nuit des plus sombres.
J’ai découvert ce poème d’Apollinaire tout récemment et il m’a bouleversée…
La nuit d’avril 1915
Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triples croches
Mais avez-vous le mot
Eh ! oui le mot fatal
Aux créneaux Aux créneaux Laissez la les pioches
Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons
Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance
Et tes mille soleils ont vidé les caissons
Que les dieux de mes yeux remplissent en silence
Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons
Les obus miaulaient un amour à mourir
Un amour qui se meurt est plus doux que les autres
Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir
Les obus miaulaient
Toile brûlée, C. JACCARD (1976)
Entends chanter les nôtres
Pourpre amour salué par ceux qui vont périr
Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque
Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts
Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque
Couche-toi sur la paille et songe un beau remords
Qui pur effet de l’art soit aphrodisiaque
Mais
orgues
aux fétus de la paille où tu dors
L’hymne de l’avenir est paradisiaque
Guillaume Apollinaire (1880-1918)
La dernière nuit
Ce petit monde meurtrier
Est orienté vers l’innocent
Lui ôte le pain de la bouche
Et donne sa maison au feu
Lui prend sa veste et ses souliers
Lui prend son temps et ses enfants
Ce petit monde meurtrier
Confond les morts et les vivants
Blanchit la boue gracie les traîtres
Transforme la parole en bruit.
Merci minuit douze fusils
Rendent la paix à l’innocent
Et c’est aux foules d’enterrer
Sa chair sanglante et son ciel noir
Et c’est aux foules de comprendre
La faiblesse des meurtriers.
Paul Eluard (1895-1952)
le 3 mai 1808, GOYA
La nuit des morts
… Ah ! le sombre hibou qui vole d’if en if ,
Aux oiseaux réveillés jetant son cri plaintif,
Est moins triste, moins triste est la voix des chiens vagues
Par un soir d’ouragan hurlant contre les vagues,
Qu’en ce premier novembre, où nul astre ne luit,
Le cantique des Morts errant toute la nuit !...
Des clercs, des mendiants, de village en village,
Se plaisent à semer partout ce chant sauvage,
Pour rappeler à ceux qui dorment dans leurs lits
Ceux qu’en la terre froide ils ont ensevelis,
Mais qui viennent ce soir, dégagés de leurs langes,
Aux vivants se mêler : innombrables phalanges,
L'île des morts, Böcklin (1883)
Tourbillons plus serrés que ne sont à la fois
Les sables de la mer et les feuilles des bois.
Tous ces bruissements qui passent dans les ronces
A vos chants désolés, chanteurs, sont la réponse…
Auguste Brizeux (1806-1858)