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30 octobre 2008 4 30 /10 /octobre /2008 14:15



Voici mon texte écrit à partir de l'exercice 66 d'écriture ludique. Il s'agissait d'écrire à partir de l'image de ces deux portes et d'insérer dix titres de chansons de Michel Jonasz donnés.

Chaque matin en allant au lycée Sohann faisait un léger détour par la rue Paul Gauguin. Il aimait passer devant le cabaret tzigane dont le nom le faisait rêver. Il imaginait une belle Esmeralda qui lui dirait en suppliant « J'veux pas qu'tu t'en ailles » alors qu'il lui répondrait d'un air nonchalant, « Tu sais poupée, y'a rien qui dure toujours ! ». Un petit sourire encore au coin des lèvres, tout en chantonnant « en vl'à du slow, en vl'à », il se dirigeait ensuite vers la maison blanche, la maison aux deux portes. Là, il hésitait toujours un peu, osait un regard vers les fenêtres, cherchait la fine silhouette aperçue voilà quelques mois ... cette silhouette androgyne qui le troublait tant. Puis il accélérait le pas pour ne pas être en retard. Il s'engouffrait dans la salle de cours et tout en prenant des notes en élève sérieux qu'il était, une partie de son esprit restait devant ces deux portes à guetter, à espérer.

Mais ce jour-là, il avait en tête une phrase entendue par hasard à la radio le matin alors qu'il était encore en demi-sommeil : « Changez-tout ! ». Alors Sohann décida de modifier son rituel. Au lieu de suivre son petit itinéraire habituel, il avança un peu au hasard, presque en fermant les yeux et en tentant d'attraper au vol des bribes de conversation . « C'est comme ça à chaque saison qui passe ... » marmonnait une vieille dame en poussant son caddy écossais rempli de fruits et légumes. Il la suivit quelques mètres bercé par son murmure maintenant inintelligible. Il passa devant la terrasse d'un café où étaient attablés deux hommes qui parlaient fort d'une voix éraillée, une bière à la main. « 25 piges, dont 5 au cachot ! » s'exclama le plus jeune des deux en reculant sa chaise. Sohann accéléra le pas un peu impressionné. Il n'entendait plus à présent que le bruit des voitures qui accéléraient, freinaient ou klaxonnaient. L'idée qu'il devait se rendre au lycée n'était plus qu'une nébuleuse enfouie dans un coin de son cerveau. Il errait sans but, les sens toujours en éveil. Lorsqu'il s'arrêta de marcher, il réalisa que ses pas l'avaient tout naturellement conduit devant les deux portes de la maison blanche. Il alla sur le trottoir d'en face, s'assit sur une marche d'escalier et observa attentivement les deux portes. Semblables au premier coup d'œil, il s'amusa à déceler les infimes différences, comme lorsqu'il jouait au jeu des sept erreurs quand il était enfant et qu'il s'ennuyait chez sa mamie : les portes n'étaient pas exactement du même bois, celle de gauche était zébrée d'une profonde rayure, les escaliers n'avaient pas la même couleur ... Une voix un peu tremblante l'interrompit dans son petit jeu : « De l'amour qui s'évapore, comme ça, mais ça n'existe pas ... ». Il tourna la tête vivement et, bouleversé, aperçut à deux pas de lui, cramponné à son portable, l'inconnu dont il n'arrivait à dire s'il était homme ou femme. Il recula légèrement, le vit ouvrir la porte de droite puis disparaître dans la grande demeure. Sohann ferma les yeux pour retrouver le visage délicat, les lèvres fines, le regard outremer brouillé de quelques larmes, ce corps enveloppé d'un grand imper gris sombre ... Il regarda à nouveau devant lui sentant les battements de son cœur s'accélérer et ses cils se gonfler de larmes. « Alors c'est ça le blues, pensa-t-il ». Des sensations contradictoires l'envahissaient et il ne savait qu'en penser. Une envie incontrôlable d'ouvrir cette porte et de voir ce qui se cachait derrière ses murs s'imposa à lui. Pourquoi deux portes jumelles pour une seule maison ? Qui était-il, ou qui était-elle ? Pourquoi cette impression d'immuabilité et d'éternité lorsqu'il était ici... C'était comme s'il était en présence de la vie sans mort. Comme c'était étrange, comme c'était doux aussi de penser à lui, tel un ange gris. Allait-il sortir démon par l'autre porte ? Il imagina ses lèvres sur les siennes, légères comme une caresse, ailes de papillon frémissantes. Il reviendrait demain devant ces deux portes, puis le lendemain encore et peut-être qu'un jour il aurait le courage de lui parler, peut-être ...

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commentaires

O
Très réussi ! L'exercice est difficile...
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A
<br /> Merci !<br /> <br /> <br />
L
Quel talent !! Faire une histoire à partir de cette simple photo et de la contrainte Jonasz, je serait bien incapable d'en faire autant.
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A
<br /> Merci à tous pour vos gentils commentaires, ça me touche beaucoup !<br /> <br /> <br />
L
Lorsque j'ai proposé cet exercice, je ne savais à quoi m'attendre. J'étais certaine d'une chose: les textes seraient tous différents, de tons et de factures différents...mais le tien, je l'avoue, vient de me faire chavirer!<br /> Il me touche, il me parle...je le trouve vraiment très bien écrit, fluide, poétique, énigmatique....et j'en passe!:-)<br /> <br /> Voilà...bravo donc, tu l'auras compris!:-)<br /> Flora
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Y
Joli ! Je n'aurais pas réussi a faire aussi long..d'ailleur hum..je trouve le minebien court !! A bientôt et bravo
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I
C'est un très beau texte, qui laisse aux lecteurs la liberté d'imaginer d'aucuns que l'ange dira oui, d'autre que non etc...
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