Je continue ma petite anthologie des textes qui m'ont marquée. Pour le rivage des Syrtes, j'ai presque pris une page au hasard tellement ce livre est beau. Julien Gracq nous entraîne dans un monde oppressant entre rêve et réalité, entre vie et mort.
" Un faible et profond murmure entrait par les fenêtres, peuplait maintenant le silence revenu et faisait vivre sourdement autour de nous la chambre vide. L'espace que je sentais se creuser derrière moi me pesait ; je me levai d'un geste nerveux et marchai vers l'une des hautes baies ouvertes. La lune s'était levée. Le dôme des vapeurs s'élevait au-dessus de la lagune. Sur le front de mer, les premières façades de Maremma, blanchâtres et serrées, sortaient vaguement de l'ombre. La musique s'était tue dans les salons et une rumeur plus lointaine immobilisait ces faces de pierre. La flèche des sables fermait l'horizon d'une barre noire ; par la passe ouverte, les rouleaux de vagues gonflés par la marée déferlaient en paliers phosphorescents de neiges écumeuses, en degrés démesurés qui semblaient croûler théâtralement par saccades du coeur même de la nuit. Un crissement solennel montait des sables, et, comme la frange du tapis qui déborde d'un escalier de rêve, une nappe aveuglante venait se défroisser à mes pieds mêmes sur les eaux mortes.
Je sentis à mon épaule un léger contact, et, avant même de retourner la tête, je sus que la main de Vanessa s'y était appuyée. Je demeurai immobile. Le bras qui me frôlait tremblait de fièvre, et je compris que Vanessa avait peur."
paysage catalan, de Juan Miro
(bon, c'est un peu trop ensoleillé pour ce texte mais tant pis, il me plaît !!! )